top of page
L'enfant de chœur devenu bourreau

​​

Né au début des années 1960 à Odek, un petit village du nord de l’Ouganda, Joseph Kony a grandi dans une famille catholique très pieuse. Il a d’ailleurs été lui-même enfant de chœur. Fortement influencé par le « Mouvement de l’Esprit Saint » (7 000 hommes), créé en 1986 par Alice Lakwena pour renverser le président Yoweri Museveni et défait un an plus tard, Joseph Kony a fondé la LRA en 1988. Objectif : installer à Kampala un régime théocratique suivant les préceptes de la Bible. Depuis, il a multiplié les attaques meurtrières contre les autorités et la population civile. Un mandat d’arrêt a été émis à son encontre le 8 juillet 2005 (amendé le 27 septembre de la même année) par la Cour pénale internationale.

 

 

Joseph Kony, le messie sanglant et insaisissable de la LRA

 

8 avril 2014

Gourou mystique pour les uns, diable incarné pour les autres. Depuis qu'il est parti en croisade contre l'Etat ougandais à la fin des années 1980, en réponse à la marginalisation des Acholi (1) par le gouvernement central, Joseph Kony ne laisse personne indifférent. Y compris les autorités américaines, qui ont entrepris de renforcer la traque contre le chef de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA pour Lord’s Resistance Army), une milice ultraviolente à la doctrine nébuleuse mêlant croyances africaines et extrémisme chrétien.

 

Dans le cadre de cette vaste chasse à l'homme, Washington vient de dépêcher en Ouganda 150 nouveaux soldats des forces spéciales (en plus des cent déjà envoyés en octobre 2011), appuyés par au moins quatre avions CV-22 Osprey, sorte de croisement entre engin de transport militaire et hélicoptère. Des appareils hybrides particulièrement utiles pour convoyer des troupes en terrain accidenté.

 

Or, la zone où se terre la LRA, sise aux confins de la République centrafricaine (RCA), de la République démocratique du Congo (RDC) et du Soudan du Sud, est parsemée de forêts densément touffues, avec une épaisse canopée qui laisse à peine filtrer la lumière du ciel. Inaccessible, même pour les satellites espions et les drones américains, pourtant réputés très sophistiqués...

 

Jusqu'ici, la hausse régulière des moyens engagés contre Joseph Kony n'a donné aucun résultat probant. Tout comme la promesse d’une récompense de cinq millions de dollars (environ 3,6 millions d'euros) à toute personne qui fournirait des informations susceptibles de conduire à sa capture. Bien qu'il soit recherché depuis juillet 2005 par la Cour pénale internationale de La Haye pour trente-trois chefs d'accusation – douze pour crimes contre l'humanité, vingt et un pour crimes de guerre –, le tout-puissant commandant de la LRA demeure aussi volatil et insaisissable que l'air.

 

Au fil des années, la clandestinité est devenue pour lui une seconde nature et sans doute le gage le plus sûr de la pérennité de son mouvement, lequel aurait fait plus de 100 000 victimes et quelque 2,5 millions de déplacés, selon un rapport des Nations unies dévoilé en mai dernier. Organisation émiettée, la LRA comptait à la fin de 2013 environ 220 combattants, contre 2 700 à l'orée des années 2000. Ce qui ne l'empêche pas d'instiller encore la peur chez les habitants de la région en raison d'incursions spontanées et de raids improvisés dans les villages.

 

Il faut dire qu'en près de trente ans de lutte, le « messie sanglant » – le surnom de Joseph Kony – a manifesté une propension peu commune à la cruauté. Et ce malgré sa volonté initiale d'installer à Kampala un régime fondé sur le respect des Dix Commandements de la Bible. Meurtres, mutilations, pillages, torture, viols : la liste des exactions qui lui sont attribuées est tristement longue.

 

« A cela s'ajoute l'enlèvement régulier d'enfants en bas âge, enrôlés de force comme bêtes de somme pour porter les bagages et les butins des vols. Les garçons sont transformés en enfants soldats, tandis que les filles, elles, servent généralement d'esclaves sexuelles », explique Tony Lakouetene, assistant coordinateur au sein de la Jupedec (Jeunesse unie pour la protection de l'environnement et le développement communautaire), une ONG sise à Bangui, la capitale centrafricaine. Au total, de 60 000 à 100 000 enfants auraient ainsi été kidnappés par les insurgés, d'après l'ONU. Avant de subir un rigoureux processus de « déshumanisation » les amenant parfois à massacrer froidement certains membres de leur propre famille.

 

« Médium spirituel » autoproclamé, Joseph Kony jouit d'une aura de sacralité auprès de sa soldatesque ; des hommes rompus à l'art de la guérilla et à la vie en brousse, qui le considèrent comme un prophète. « Les combattants de la LRA observent une discipline militaire particulièrement stricte et demeurent soudés. Il règne entre eux une atmosphère d'harmonie, de complicité positive. Les déserteurs, eux, sont systématiquement éliminés, sans la moindre commisération. La LRA appelle cela 'éliminer les obstacles' », précise Tony Lakouetene. La palette des châtiments utilisés contre les « déviants » est large. Elle peut aller de la brûlure à la condamnation à mort par crucifixion.

 

Face au pouvoir de nuisance toujours prégnant de la milice, qui s'enrichirait, entre autres, grâce au braconnage et au trafic illégal d'ivoire, le nouvel élan de mobilisation décrété par les Etats-Unis peut-il changer la donne ? M. Lakouetene affiche son scepticisme : « Ce déploiement de forces aurait été plus efficace en RDC et en RCA car c'est là que se trouvent actuellement les foyers les plus actifs de la LRA [chassée d'Ouganda en 2006] ».

 

Mais à l'en croire, Joseph Kony, bien que très précautionneux quant à sa sécurité (il a banni l’usage des téléphones satellites susceptibles de révéler sa position), est aujourd'hui acculé. D'autant que ses principaux soutiens se sont évaporés. « Avec la mort du chef rebelle John Garang en juillet 2005, il a perdu l'appui dont il jouissait auprès des Sud-Soudanais. Il s'est alors tourné vers le Soudan. Mais, à partir de 2011, Khartoum a également pris ses distances avec lui », souligne-t-il. Dans ces circonstances, « il est possible qu'il tienne encore quelque temps dans la jungle grâce au fruit des pillages perpétrés par ses affidés, mais cela dépend aussi de la progression de l'UPDF [les forces de défense du peuple ougandais] vers les localités tenues par la LRA ».

 

A l'option militaire privilégiée dès le départ, et qui a montré ses limites, d'aucuns préfèrent désormais un travail de médiation approfondi, l'objectif sous-jacent étant de siphonner les forces vives de la LRA. Tony Lakouetene est de ceux-là. Pour lui, il convient avant tout de faire œuvre de pédagogie auprès des combattants. Et de conclure : « Lorsque l'on parvient à rassurer les éléments de la LRA sur le fait que leur sécurité sera garantie une fois qu'ils auront quitté le mouvement, on constate que les défections sont massives (16 en 2013). Certains officiers et hommes de rang, dont Joseph Kony lui-même, ont émis le souhait d'en sortir, afin de 'mener une vie normale comme les autres' ». Vœu sincère de tourner la page ou manœuvre de diversion de la part de rebelles matois ?

 

* * *

(1) Les Acholi forment l'une des nombreuses tribus d'Ouganda. Ils appartiennent au groupe luo, lui-même composé de plusieurs tribus que l'on retrouve dans cinq pays : l'Ouganda, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo, le Kenya et la Tanzanie.

(1)
bottom of page